Résultats de la lutte biologique à base de Bacillus thuringiensis contre Culex pipiens (Algérie)


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Date de publication : 08 décembre 2006 - Résumé

Résultats de la lutte biologique à base de Bacillus thuringiensis contre Culex pipiens principal vecteur de nuisance dans la ville de Tlemcen (Algérie)

INTRODUCTION
Actuellement, la lutte contre les moustiques n’est plus seulement le fait de combattre les agents pathogènes qu’ils sont capables de transmettre à l’homme et aux animaux mais également l’incommodité et la nuisance qu’ils engendrent.
La situation de nuisance, engendrée par Culex pipiens L. 1758 est fortement ressentie dans la plupart des villes d’Algérie notamment la ville de Tlemcen, nous a poussé à nous intéresser à son écologie, dans le seul but d’établir une lutte plus efficace. En effet, la résistance de ces insectes et la bioaccumulation des composés toxiques non biodégradables incitent à réviser les moyens de lutte. Plusieurs méthodes (physiques, microbiologiques, génétiques…) ont été mises à l’essai et le concept de lutte intégrée est alors défini mais difficilement mis en application, dû à une carence d’un support écologique.
La création de l’ensemble des gîtes rencontrés reste néanmoins le résultat de la négligence de l’homme. L’extension difficilement contrôlée de l’urbanisme et du secteur industriel polluant en plus des systèmes d’évacuation des eaux usées et d’assainissement sont des générateurs à Cx. pipiens.
L’analyse des travaux bibliographiques permet de mettre clairement en évidence la plasticité écologique de cette espèce. Les nombreux travaux consultés montrent que Cx. pipiens présente une forte probabilité de rencontre dans la majorité des gîtes larvaires. C’est une espèce, qualifiée d’eurytope et d’euryèce, capable de se développer dans les gîtes les plus divers et de supporter les variations les plus larges des facteurs écologiques.
L’objectif de notre étude est double :
1- définir le degré de sensibilité des populations préimaginales à l’égard du Bacillus thuringiensis israelensis et d’estimer l’efficacité de ce dernier à l’aide de tests toxicologiques effectués sur les larves de différents stades.
2- comparer les doses létales à 50% et 90% des populations provenant directement du terrain à celles des populations d’élevage, selon la méthode préconisée par l’O.M.S.
Les conditions physicochimiques et bactériologiques peuvent jouer un rôle dans la sensibilité des stades immatures de Cx. pipiens.

MATERIEL ET METHODES
Nous avons effectué une enquête dans le groupement grand Tlemcen qui nous a permis d’établir une carte du degré d’infestation à partir du support cartographique fourni par l’URBAT 2002, une carte d’occupation du sol au 1/10 000e. Grâce au logiciel AUTOCAD 2000, nous avons délimité les zones selon le degré d’infestation en se basant sur les renseignements recueillis durant l’enquête.
Les prélèvements des larves des différents stades sont réalisés dans trois gîtes hypogés inondés de façon permanente et alimentés par les eaux usées provenant des fuites dans la canalisation défectueuse (Fig.1). L’eau est putride, nauséabonde et fortement chargée en matière organique ce qui favorise la prolifération de microorganismes très divers. Les larves sont prélevées à l’aide d’un filet Langeron de 20cm de diamètre et de 80µm de maille (Fig. 2).
Pour caractériser les gîtes étudiés, cinq paramètres physico-chimiques, liés à l’origine de l’eau, ont été pris en compte (la température, le pH, la conductivité électrique, la salinité et la quantité d’oxygène dissous).
L’ensemble des mesures des paramètres physico-chimiques de l’eau des prélèvements où se développent les populations préimaginales de Cx. pipiens a été réalisé au moyen d'un appareillage approprié type WTW multiline P4.
Le produit testé provient d’AgroAtlas et correspond à Vecto Bac CG puissance 200UIT/l, sous forme de granulés.
Les tests toxicologiques sont réalisés, dans l’eau provenant des gîtes hypogés, à partir de 50 individus. Les granulés du produit commercial VectoBac sont dilués dans un litre d’eau, à sept doses décroissantes allant de 200 à 10 mg/l. les larves décédées sont retirées, à des intervalles de temps réguliers (30 minutes) jusqu’au décès de toutes les larves. Chaque test est répété trois fois.
Les résultats sont renforcés par un traitement statistique, réalisé grâce au logiciel Minitab12, à savoir une analyse de variance et la droite de régression établie selon la méthode de SWAROOP et UEMERA (1966) pour déterminer les Dl50 et Dl90 des différents stades larvaires, avec une probabilité de 95%.

RESULTATS
Identification et répartition des zones infestées par Culex pipiens L. dans le groupement grand Tlemcen
La zone d’étude recouvre une superficie de 3460,2ha pour une superficie totale du groupement grand Tlemcen de11211ha. Ainsi, La carte représente trois degrés d’infestation (Fig. 4) :
- une zone fortement infestée, représentant les cas dont les piqûres par jour et par individu dépassent huit piqûres. Ce secteur occupe une superficie de 163,10ha.
- une zone moyennement infestée avec le nombre de piqûres qui varie entre trois et huit piqûres. La superficie totale de ce secteur est de 375,4ha.
- une zone faiblement infestée qui recouvre une surface de 292,7ha, avec un nombre de piqûres variant entre une et trois piqûres. Ce secteur reste plus ou moins indemne et connaît peu le phénomène de nuisance par Cx. pipiens.
Le choix du gîte idéal conduit les femelles à rechercher des milieux où la nourriture est la plus abondante. Les conditions offertes par ces gîtes favorisent le déroulement du cycle biologique dans des délais relativement courts (4 à 5 jours).
Durant la période d’étude, la température de l’eau des différents gîtes hypogés étudiés ne dépasse pas 23,6°C, le pH traduit généralement une alcalinité moyenne (pH>7), la conductivité électrique est plus ou moins faible avec un maximum de 4320 µS/cm, les valeurs de la salinité sont comprises entre 0,1 et 2,2g/l. L’eau de ces gîtes est peu oxygénée à cause du faible contact avec le milieu extérieur (0,02 – 9,32mg/l).

Efficacité du Bti sur la mortalité des larves de Cx. pipiens.
Les larves du premier stade larvaire traitées, semblent être plus sensibles au Bti, en raison des taux de mortalité enregistrés pour les différentes concentration. Pour les stades larvaires L2, L3 et L4, les doses agissent de la même manière sur la mortalité des larves.

Analyse de variance à un facteur contrôlé « temps » pour les quatre stades larvaires.
L’analyse de variance effectuée a permis de démontrer une différence hautement significative entre les moyennes avec P = 0,000 (Tab.I), dans ce cas l’hypothèse H0 est rejetée. Le classement suivant est retenu : T30 minutes < T60 mn < T90 mn < T120 mn < T150 mn < T210 mn < T240 mn < T270 mn < T300 mn < T330 mn < T360 mn. Cette différence hautement significative confirme l’incidence du facteur temps sur la mortalité des larves des différents stades.
Ainsi, le biolarvicide à 200UIT/mg provoque une mortalité de 100% de l’ensemble des larves au bout des 17 premières heures du traitement pour la dose la plus faible de 10mg du produit (20000UIT/mg /l. une augmentation de la dose permet de diminuer le temps d’effet du produit.
Analyse de variance à un facteur contrôlé « Dose » pour les quatre stades larvaires.
Nos résultats sont exprimés par la moyenne des différentes répétitions et leurs écartypes (Tab. II).
Les pourcentages de mortalité sont corrigés par la formule d’ABOTT (1925) qui permet d’éliminer la mortalité naturelle et de connaître la toxicité réelle du larvicide.
L’analyse de la variance démontre que sous l’effet des mêmes doses, les taux de mortalité enregistrés 360 minutes après le traitement des larves sont élevés. Dans les quatre stades larvaires (p < 0,005) , donc il y a une différence hautement significative entre les moyennes de mortalité pour tous les stades larvaires.
En tenant compte de l’analyse statistique, il est évident que le Bti a des effets sur la mortalité des larves, en particulier pour les doses les plus fortes, où les larves sont toutes décédées.
Les larves du premier stade traitées, semblent être plus sensibles au Bti, en raison des taux de mortalité enregistrés pour les différentes concentrations. Pour les stades larvaires L2, L3 et L4, les doses agissent de la même manière sur la mortalité des larves.

Analyse de variance à deux facteurs contrôlés « Dose » et « Stade larvaire » sans répétition d’expérience.L’efficacité des deux facteurs « dose » et « stade larvaire » est démontrée a travers une analyse de variance à deux facteurs contrôlés, englobant les quatre stades larvaires ainsi que les différentes doses testées. Cette analyse révèle l’impact de chacun des deux facteurs (Tab. III), le stade larvaire et les différentes doses utilisées, influent significativement sur la mortalité des larves de Cx. pipiens (p < 0,005).

Droites de régression
Les coefficients des quatre droites de régression réalisées montrent qu’il existe une relation significative entre les larves décédées et les différents dosages du Bti (Fig. 5).
L’analyse des probits nous a permis de retenir des doses létales à 50 % (DL50) du Bti qui est de l’ordre de 15,87mg/l (3175UIT) pour le premier stade larvaire, ses limites inférieure et supérieure sont respectivement de 14,74 et 17,09mg/l (2948 et 3419UIT).
Pour le stade larvaire L2, la DL50 du larvicide est de 20,36mg/l (4073UIT). Les intervalles de confiance de la DL50 sont de 12,05 à 34,41mg/l (2410 à 6883UIT).
La dose létale à 50% de mortalité pour les larves du stade 3 est de 19,44mg/l soit 3888UIT. La limite inférieure est de 10,56mg/l (2113UIT) et la limite supérieure est de 35,76mg/l (7153UIT).

Résultats des tests de sensibilité au Bti effectués sur les quatre stades larvaires de Cx. pipiens et interprétation selon SINEGRE et al. (1976).
Les populations préimaginales de Cx. pipiens sont des populations hétérogènes, une partie peut être fortement sensible et une autre tolérante (Tab. IV).
Le produit n’agit pas d’une manière régulière sur l’ensemble des individus au sein d’une même population voire même au sein d’une même génération. Certaines meurent dans les deux premières heures qui suivent et d’autres par contre mettent un temps beaucoup plus long qui peut aller jusqu’à 16 heures. Pour les stades les plus avancés L3 et L4, nous avons noté qu’environ 3% des individus testés sont fortement tolérants. Il y a ainsi un temps d’effet qui peut être expliqué par les spores bactériennes qui prolifèrent graduellement dans les cellules épithéliales. Pour le quatrième stade larvaire, la DL50 est de l’ordre de 40,82mg/l (8165UIT) et sa limite fiduciale calculée est comprise entre 26,50 et 62,87mg/l (5301 et 12574UIT).

DISCUSSION & CONCLUSION
A travers une régression logistique, les résultats de la recherche de l’effet du Bti sur les stades immatures (les quatre stades larvaires) ont révélé un effet conjugué du facteur doses et du facteur temps. Le taux de mortalité des larves dépend à la fois de la dose et du temps qui en s’accroissant, augmentent l’efficacité du produit.
Bien que le Bti ne soit pas utilisé dans la lutte contre les larves de Cx. pipiens, la tolérance, observée chez les individus testés, peut être liée également au traitement effectué à partir du produit VectoBac CG, relativement peu puissant (200UIT/mg) et qui exige un temps d’effet plus long.
Les populations larvaires de Cx. pipiens, dans la ville de Tlemcen, prélevées directement sur le terrain et traitées dans l’eau du gîte, se montrent hétérogènes tolérantes au Bti, contrairement aux populations d’élevage qui restent homogènes sensibles. Les larves, vivant dans des eaux usées fortement chargées en bactéries notamment, exigent des doses létales à 50 et 90% nettement plus élevées que celles issues de l’élevage, elles présentent de ce fait une certaine tolérance vis à vis du Bti. En effet, celui-ci est un insecticide biologique qui agit sur les cellules de l’épithélium intestinal. Selon BURGEJON (1959), aux stades avancés L3 et L4, l’efficacité du Bti diminue en raison de l’augmentation de la capacité de la larve à renouveler les cellules épithéliales du mésentéron d’une part et du pouvoir immunitaire des leucocytes qui est plus important d’autre part, principalement pour les larves issues d’un milieu initialement riche en bactéries.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • ABBOTT A., 1925- A Method For computing effectiveness an insecticide. J. Econ. Ent, 18 : 267p.
  • SINEGRE G., JULLIEN J.L. & CRESPO O., 1976- Résistance de certaines populations de Culex pipiens L. au chloropirifos (Dursban) en languedoc-Roussillon. Cahier de ORSTOM. Ser Ent. méd et parasito., 14 : 49 – 59.
  • SWAROOP S. & UEMERA K., 1966- Probit analysis (Word Health Organisation). Geneva. Switzerland.
  • BURGERJON A., 1959- Titrage et définition d’une unité biologique pour préparation de B. thuringiensis. Entomophage, 4 : 201 – 206.

TABLEAUX

Tableau I : Analyse de variance à un facteur contrôlé «  Temps  » pour les quatre stades larvaires

Larves

ddl

Fobs

P

L4

11

8,54

0,000

L3

11

40,09

0,000

L2

11

26,74

0,000

L1

11

26,03

0,000

 

Tableau II : Analyse de variance à un facteur contrôlé «  Dose  » pour les quatre stades larvaires.

Larves

ddl

Fobs

P

L4

6

29,24

0,000

L3

6

32,29

0,000

L2

6

26,69

0,000

L1

6

66,88

0,000

Tableau III : Analyse de variance à deux facteurs contrôlés «  Dose  » et «  Stade larvaire  » sans répétition d'expérience

Larves

ddl

Fobs

P

L4

11

8,54

0,000

L3

11

40,09

0,000

L2

11

26,74

0,000

L1

11

26,03

0,000

Tableau IV- Résultats des tests de sensibilité au Bti effectués sur les quatre stades larvaires de Cx. pipiens et interprétation selon SINEGRE et al. (1976)

Populations

DL50

DL90

K =

DL50 corrigée / DL50 de base

P =

DL90 corrigée / DL50 corrigée

Interprétation

Stade 1

15,87

48,35

0,86

3,04

Hétérogène à tolérance partielle

Stade 2

20.36

55,84

1,11

2.74

Hétérogène à tolérance partielle

Stade 3

19,44

92

1,06

4,73

Hétérogène à tolérance partielle

Stade 4

40,82

133

2,23

3,25

Hétérogène à tolérance partielle

 

Tabti N. & Hassaïne K (natabti@yahoo.fr)

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