Comment rattacher des relevés réels aux groupements végétaux d'un prodrome - Cas des Monts de Tlemcen (Oranie -Algérie)

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Date de publication : 27 novembre 2007

Comment rattacher des relevés réels aux groupements végétaux d'un prodrome - Cas des Monts de Tlemcen (Oranie -Algérie)

Résumé

Pour rattacher les relevés que nous avons réalisés dans les monts de Tlemcen à l'une des branches de la hiérarchie du prodrome dont le prototype est le prodrome des groupements végétaux de la France méditerranéenne. Nous avons commencé par attribuer un numéro de cinq chiffres à chacun des groupements, le premier chiffre désigne la classe, le second l'ordre, le troisième l'alliance, le quatrième la sous-alliance et le cinquième l'association en enregistrant simultanément leur caractéristiques.

Par la suite, nous avons constitué un fichier dual où sont cités pour chaque espèce les groupements végétaux dans lesquels elle est considérée comme caractéristiques et nous avons utilisé le calcul de distance de Hamming.

Le traitement de ces données, laisse entrevoir un grand nombre d'espèces qui sont présentes dans les relevés et signalées dans la liste des caractéristiques, d'autre part, le spectre d'appartenance phytosociologique de chaque relevé montre que en moyenne 43% des espèces de chaque relevé sont caractéristiques d'un groupement végétal.

A travers ce présent travail, il nous a paru intéressant de montrer l'intérêt de méthodes simples dans l'esquisse de la fraction du prodrome algérien qui reste provisoire car embryonnaire.

Mots clés

Relevés, Prodrome, Fichier dual, Calcul de distance de Hamming, Monts de Tlemcen (Oranie-Algérie)

Introduction

L'un des mérites de la phytosociologie est de proposer une classification hiérarchique des groupements végétaux . Celle-ci est habituellement présentée dans un « prodrome », dont l'excellent prototype est le Prodrome des groupements végétaux de la France méditerranéenne (Braun-Blanquet J., N. Roussine, R. Nègre 1952)

Il est alors possible de rattacher chacun des relevés réalisés dans une région à l'une des branches de la hiérarchie du prodrome. En Algérie, un tel prodrome n'est pas encore totalement rédigé, mais les recherches sont suffisamment avancées dans certains types de végétation pour qu'il soit possible d'esquisser la fraction de prodrome qui les concerne. C'est le cas pour les groupements végétaux des forêts de Chêne vert, grâce aux travaux de Dahmani (1984,1997) ; Letreuch Belarouci(1995) Hadjadj (1995 et de Benabdelli(1996).

Nous avons donc rassemblé ces travaux en constituant une fraction de prodrome provisoire et nous avons regardé voir comment les relevés que nous avons réalisés dans les formations végétales ligneuses des Monts de Tlemcen peuvent se rattacher à cette fraction de prodrome. Les résultats que nous présenterons ne peuvent donc être que provisoires, mais ils pourront être complétés quand cette fraction de prodrome aura été corrigée et ou validée par les phytosociologues algériens.

Matériel

Les 59 relevés que nous utiliserons dans cet article ont été réalisés en 2004. Ils concernent les forêts, les matorrals et les formations ligneuses basses claires des Monts de Tlemcen (forêt de Zarifet ). Ces formations sont souvent pâturées ; les coupes de bois y sont fréquentes et elles ont subi plusieurs incendies depuis une centaine d'années.

La nomenclature floristique des espèces est celle de Quézel partiellement mise à jour en 2006. 

Méthodes

1 Numérotation de la hiérarchie

Nous avons attribué un numéro de cinq chiffres à chacun des groupements végétaux, le premier chiffre indiquant la classe, le second l'ordre, le troisième l'alliance, le quatrième la sous-alliance et le cinquième l'association. Nous avons ensuite enregistré les espèces considérées comme caractéristiques pour ces groupements végétaux.

Par exemple, les premiers groupements de la classe des Rosmarinetea officinalis , tels qu'ils sont caractérisés dans les documents que nous avons consultés, sont :

4 0 0 0 0 Rosmarinetea officinalis : Rosmarinus officinalis Asperula hirsuta Atractylis humilis

Fumana thymifolia Helianthemum cinereum subsp. rubellum Teucrium polium

Ampelodesma mauritanicum Calycotome spinosa Chamaerops humilis subsp. argentea

Urginea maritima Asphodelus microcarpus Ferula communis

4 1 1 0 0 Ulici africani-Rosmarinion officinalis : Genista erioclada Rosmarinus tournefortii

Bupleurum balansae var. balansae  Ulex africanus Sideritis incana Cistus sericeus Genista

tricuspidata Helianthemum polyanthum

4 1 1 0 1 Ruto chalepensis-Cistetum heterophylli : Ruta chalepensis Cistus heterophyllus

Micromeria inodora Rosmarinus officinalis Genista tricuspidata durieui Genista erioclada

Helianthemum origanifolium Rosmarinus tournefortii

4 1 1 0 2 Lavandulo dentatae-Ericetum multiflorae : Erica arborea Lavandula dentata Micromeria

inodora Cistus heterophyllus

4 1 2 0 0 Genisto atlanticae-Cistion villosi : Centaurea lagascae Cistus villosus Cistus creticus

Festuca scaberrima Fumana fontanesii Genista erioclada

4 1 2 0 1 Helianthemo pilosi-Thymetum munbyani : Stipa tenacissima Genista atlantica

Ampelodesma mauritanicum Asphodelus microcarpus Thymus munbyani

2 Sélection des caractéristiques

Nous avons ensuite constitué le fichier dual, c'est-à-dire le fichier où sont cités, pour chaque espèce, les groupements végétaux dans lesquels elle est considérée comme caractéristique. Il se présente ainsi :

Adenocarpus complicatus 2 0 0 0 0

Adenocarpus grandiflorus 1 1 3 0 0

Aegilops triuncialis 8 5 0 0 0

Aira tenorei 5 1 0 0 0

Allium senescens 3 0 0 0 0

Alyssum granatense 8 5 0 0 0

Alyssum spinosum 4 3 0 0 0

Ampelodesmos mauritanicus 1 2 0 0 0 4 0 0 0 0 4 1 2 0 1

Etc.

Nous voyons ainsi que la plupart des espèces sont caractéristiques d'un seul groupement végétal, comme le proposaient les fondateurs de la phytosociologie. Mais un assez grand nombre d'espèces ont été considérées comme caractéristiques de plusieurs groupements végétaux, ce qui obligera à choisir le groupement végétal dont l'espèce est caractéristique.

3 Recherche d'une tendance directrice

Un grand nombre des espèces présentes dans les relevés que nous avons réalisés dans les Monts de Tlemcen sont présentes dans une des listes d'espèces caractéristiques de la fraction de prodrome. Ainsi, le premier relevé contient des espèces caractéristiques des groupements végétaux suivants :

1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 1 0 0 1 1 2 0 0 1 1 3 0 0

1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 1 0 0 1 2 5 0 1

4 0 0 0 0 4 1 1 0 1 4 1 4 0 2 4 1 6 0 2

8 3 0 0 0 8 5 0 0 0

De même, le deuxième relevé contient des espèces caractéristiques des groupements végétaux suivants :

1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1 1 1 0 0

1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 0 0 0 1 2 1 0 0 1 2 5 0 2 1 2 8 0 0

4 0 0 0 0 4 0 0 0 0 4 1 1 0 2 4 1 2 0 1 4 1 4 0 2 4 1 5 0 1 4 1 6 0 2 4 2 0 0 0

5 1 1 0 0

7 1 0 0 0 7 1 0 0 0

8 5 0 0 0

La même diversité est observée pour les relevés suivants, et ceci n'est pas contradictoire avec les principes de la phytosociologie (Braun-Blanquet J. et J. Pavillard 1922 - Vocabulaire de sociologie végétale : Lemaire-Ardres 1928), et il est possible d'en tirer parti pour caractériser le degré de dégradation des relevés. En effet, les espèces caractéristiques des niveaux élevés de la hiérarchie sont liées en première approximation à la dégradation de la végétation (Bouazza M et Benabadji N 1998 ; Benabadji N, Bouazza M et Mahboubi A 2001 y compris L. Kadik et M. Godron 2004 ; etc.

Ainsi, les Quercetea ilicis (1 0 0 0 0) comprennent les Quercetalia ilicis (1 1 0 0 0) qui sont des formations ligneuses hautes denses dominées par Quercus ilex , et les Pistacio-Rhamnetalia alaterni (1 2 0 0 0 ) qui sont encore des formations ligneuses hautes. Les Rosmarinetea officinalis (4 0 0 0 0) sont des formations ligneuses basses dérivées des précédentes. Les Tuberarietea guttatae (5 0 0 0 0) et les Tuberarietalia guttatae (5 1 0 0 0) sont des formations ligneuses basses-herbacées encore plus dégradées. Ensuite, les Helianthemetea annua (7 0 0 0 0) et les Helianthemetalia guttati (7 1 0 0 0) comprennent des herbacées souvent pérennes, alors que les Stellarietea mediae (8 0 0 0 0 ) comprennent principalement des herbacées annuelles.

Ces caractères écologiques des groupements végétaux sont liés aux types bionomiques des espèces (M. Godron, 1984) qui pourront être établis pour l'Algérie en adaptant les caractérisations entreprises par Luc Garraud et ses collègues pour les plantes emblématiques des Préalpes françaises.

En se limitant au degré de dégradation, il est déjà possible de dire que le premier relevé comprend 14 espèces indiquant une dégradation faible ou très faible, 4 espèces indiquant une dégradation moyenne et 2 espèces indiquant une dégradation forte.

4 Calcul des distances de Hamming

Pour généraliser cette remarque, la liste des espèces présentes dans chacun des relevés que nous avons réalisés dans les Monts de Tlemcen a été comparée à chacune des listes d'espèces caractéristiques du Prodrome provisoire. Pour cette comparaison, la solution la plus logique est l'utilisation de la distance de Hamming relative parce qu'elle est simple et parce qu'elle correspond à une quantité d'information.

Résultats

1 Spectre d'appartenance phytosociologique des relevés

Il apparaît alors que, en moyenne, 43 % des espèces de chaque relevé sont caractéristiques d'un groupement végétal.

Les classes auxquelles sont liés les relevés sont :

1 0 0 0 0 Quercetea ilicis

2 0 0 0 0 Cisto-lavanduletea

4 0 0 0 0 Rosmarinetea officinalis

5 0 0 0 0 Tuberarietea guttatae

7 0 0 0 0 Helianthemetea annua

8 0 0 0 0 Stellarietea mediae

Le spectre d'appartenance phytosociologique du premier relevé est alors le pourcentage des espèces de ce relevé qui appartiennent à chacune des classes. Pour les 5 premiers relevés, ce spectre se présente ainsi :

n° de la classe : 1 2 4 5 7 8

Relevé n° 1 14 0 2 0 0 2

Relevé n° 2 12 0 2 1 1 1

Relevé n° 3 7 0 4 2 1 4

Relevé n° 4 8 0 2 0 1 5

Relevé n° 5 12 0 4 0 0 3

Les deux premiers relevés peuvent donc être rattachés aux Quercetea en notant seulement que quelques espèces indiquent la proximité d'autres groupements végétaux. Le troisième relevé a été réalisé dans un "mélange" de groupements végétaux, pour reprendre l'expression de J. Braun-Blanquet ; il est vraisemblablement peu homogène et il aurait été intéressant de regarder s'il comprenait plusieurs "éléments" comme cela a été fait dans les pineraies de Pin d'Alep (L. Kadik et M. Godron 2004) ou d'y réaliser un transect capable d'y mesurer et d'y analyser l'hétérogénéité de la végétation (M. Godron, 2005).

A l'opposé, les relevés 31, 52 et 53 ont seulement des espèces caractéristiques des classes 7 ( Helianthemetea annua ) et 8 ( Stellarietea mediae ). Etc.

Puisque la fraction de prodrome qui est disponible est seulement provisoire et qu'elle ne prend pas en compte les espèces "transgressives", il serait prématuré de vouloir classer définitivement tous les relevés dans la hiérarchie phytosociologique et la discussion va montrer ce qui doit être fait pour construire le prodrome des groupements végétaux.

Discussion

Les résultats obtenus ont essentiellement pour intérêt de montrer que des méthodes simples peuvent être mises en œuvre pour mieux connaître les groupements végétaux en construisant un prodrome comprenant les listes d'espèces caractéristiques et les caractères écologiques de chaque groupement végétal. Il sera en particulier nécessaire de voir comment les caractéristiques des classes, des ordres et des alliances correspondent à des groupes écologiques liés aux facteurs écologiques principaux qui sont le climat, le sol et l'influence de l'Homme.

Par exemple, il faudra préciser les degrés de "dégradation" qui sous-tendent la "série" Quercetalia ilicis , Pistacio-Rhamnetalia alaterni, Rosmarinetea officinalis , Tuberarietea guttatae , Helianthemetea annua et enfin Stellarietea mediae . De même, dans les Quercetalia ilicis, il faudra sélectionner les espèces "différentielles" liées aux sols acides où le Chêne-liège est présent.

Si l'on veut respecter les principes fondamentaux de la phytosociologie, le but à atteindre est schématisé dans le tableau suivant qui permet de comprendre comment une association peut être, comme l'écrivait J. Braun-Blanquet : "un groupement végétal stable et en équilibre avec le milieu ambiant, caractérisé par une composition floristique déterminée, dans laquelle certains éléments exclusifs ou à peu près (espèces caractéristiques) révèlent, par leur présence, une écologie particulière et autonome." Voir tableau

Des méthodes où les associations et les alliances sont des ensembles un peu plus "flous" que la double partition stricte de la totalité des relevés ( cf . le tableau ci-dessus) peuvent être proposées, mais leur exposé sortirait du cadre de cet article.

Conclusion

Il apparaît finalement que le rattachement de nouveaux relevés aux groupements végétaux d'un prodrome est une excellente occasion d'affiner et de compléter le prodrome et qu'un prodrome ne peut pas être un document figé. Au contraire, le prodrome dont nous avons besoin est un arbre dont les branches et les rameaux se développent à partir d'une base de données en évolution permanente. Il suffit de se mettre d'accord sur les méthodes rigoureuses qui permettent d'améliorer le prodrome chaque fois que des observations nouvelles y sont incluses, en respectant par exemple la structure fondamentale du tableau ci-dessus.

Pour construire un prodrome, l'accord intuitif des "experts" est facile quand ils ont tous observé les mêmes habitats, mais l'expérience montre que cet accord devient problématique quand ils ont travaillé dans des régions différentes. La seule solution qui permette de respecter l'intégrité de chacun des chercheurs est de construire la synthèse de leurs connaissances en s'appuyant sur quelques algorithmes dotés de tests de signification statistique.

Bibliographie

Benabadji N., Bouazza M., Mahboubi A 2001- l'impact de l'homme sur la forêt dans la région de Tlemcen. Revue forêt méditéranéenne f. XXII, N°3

Benabdelli K. 1996 – Mise en évidence de l'importance de la formation basse dans la sauvegarde des écosystèmes forestiers : cas des Monts de Dayas (Algérie occidentale)  

Bouazza M., Benabadji N. 1998- composition floristique et pression anthropozoique au sud-ouest de Tlemcen. Revue Sciences et Technologie de Constantine N°10.pp 93-97

Braun-Blanquet J., N. Roussine, R. Nègre 1952 - Les groupements végétaux de la France méditerranéenne, C.N.R.S. Service de la Carte des Groupements Végétaux, 297 p. 15 phot.

Dahmani M., 1984 - Contribution à l'étude des groupements de chêne vert (Q uercus rotundifoliae ) des Monts de Tlemcen (ouest algérien .)

Dahmani M.. 1997- Le Chêne vert en Algérie syntaxonomie, phytoécologie et dynamiques des peuplements . Th.Doc. Es Sciences U.S.T.H.B. Alger

Godron M. 1984. - Ecologie de la végétation terrestre, Masson, Paris,

Godron M. 2005 – Ecologie et évolution du monde vivant. Internet Conseil international de la langue française, Paris, 850 p. (en particulier le chapitre 5).

Hadjadj Aouel S. 1997- les peuplements de thuya de Berberie ( Tetraclinis articulata vahl masters)

En Algérie, Phytoécologie,syntaxonomie,potentialités sylvicoles. Thèses d'état. Faculté des Sciences et Techniques de St Jérôme.

Kadik L., Godron M. 2004 - Contribution à l'étude de la "dégradation" de la végétation dans les pineraies de Pinus halepensis Mill d'Algérie et dans les formations dérivées, J. Bot. Soc. Bot. France, 27 : 9-19 )

Letreuch Belarouci N. 1995.- Réflexion autour du développement forestier : les zones à potentiel de production. Les objectifs O.P.U. Alger 69p

Le type bionomique d'une espèce est une généralisation des types biologiques de Raunkiaer, qui prend en compte les contraintes écologiques qui apparaissent à toutes les étapes de la vie d'une plante (germination, survie des plantules et des adultes, résistance aux perturbations telles que le pâturage ou l'incendie, à l'ombre et à la concurrence, floraison, fécondation, fructification, dispersion des diaspores, survie des diaspores jusqu'à la germination, et enfin reproduction végétative). Le type bionomique est donc aussi une généralisation des "traits de vie" proposés par les auteurs anglo-saxons et il permet de constituer rationellement les groupes fonctionnels.

Auteurs : Kheira . MESLI-BESTAOUI * , , Mohamed BOUAZZA ** , Michel.GODRON **

* Maître Assistante Chargée de cours. Université de Tlemcen, Laboratoire d'Écologie et de Gestion écosystèmes Naturels. B.P :/119 13000 Tlemcen. ALGERIE. Courriel : k_mesli @yahoo.fr

** Professeur.. Université de Tlemcen, Laboratoire d'Écologie et de Gestion des écosystèmes Naturels. B.P :/119 13000 Tlemcen ALGERIE. Courriel : lecgen@yahoo.fr

** Professeur. Grouforchar, Courriel : migodron@wanadoo.fr

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