Le contexte des feux de forêts dans le bassin méditerranéen

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Le contexte des feux de forêts dans le bassin méditerranéen


Date de publication : 08 août 2008

 

Mots clés


Feux de forêts, Bassin méditerranéen, Contexte



1- Introduction



Une étude de la FAO (2007) a fait ressortir qu’au niveau mondial, chaque année, 350 millions d’hectares d’espaces naturels sont affectés par des feux, ce qui représente 9 % de la superficie totale des forêts et des zones non forestières, telles que la savane, la brousse et les parcours. Plus strictement, la superficie de forêts effectivement touchée par des feux est de moins de 5 % par an.


Le Bassin Méditerranéen n’échappe malheureusement pas à cette logique du feu, puisque les feux de forêts y représentent une part non négligeable des incendies de la planète (ALEXANDRIAN & al., 1999). L’incendie, surtout à l’apogée de la période estivale, constitue une menace permanente pour les forêts de la région méditerranéenne –plus spécialement dans sa partie occidentale- et représente la cause principale de destruction des forêts et des peuplements arbustifs subforestiers (maquis, garrigues, broussailles) (RAMADE, 1997 ; CEMAGREF, 2006).


Plus de 55 000 incendies parcourent en moyenne chaque année de 500 000 à 700 000 ha de forêt méditerranéenne, causant des dommages écologiques et économiques énormes, ainsi que des pertes de vies humaines (ANGELIDIS, 1994 ; VELEZ, 1999 ; DIMITRAKOPOULOS & MITSOPOULOS, 2006). Malgré le caractère fort irrégulier des incendies, les écarts en surface détruite étant très variables, entre années humides et années très sèches et ventées (RAMADE, 1997), durant cette dernière décennie, REGO & al. (2007) notent qu’il y a une tendance à la baisse des surfaces brûlées moyennes annuelles qui oscillent entre 300 000 à 500 000 ha. Selon le WWF (2001) et le CEMAGREF (2006), ce sont en moyenne 400 000 ha de forêts et d’espaces naturels qui sont brûlés annuellement.


A l’opposé, ALEXANDRIAN & ESNAULT (1998) constatent un fort accroissement du nombre annuel moyen d’incendies de forêts, à partir du début des années 70. En effet, depuis cette date, RAMADE (1997) affirme que leur fréquence a atteint une ampleur catastrophique surtout dans la partie nord du bassin méditerranéen, par suites d’incendies criminels et de l’accroissement de la fréquentation touristique dans des massifs forestiers autrefois difficilement accessibles. La demande croissante de l’« homo urbanus », en loisirs récréatifs, est à l’origine du développement exponentiel du tourisme, et ce problème s’est aggravé dans des pays touristiques, comme l’Espagne, la France, l’Italie, la Grèce, la Turquie …) (ANGELIDIS, 1994).

Enfin, il faut indiquer qu’il ne subsiste déjà plus que 17 % de la couverture de la forêt originelle de la Méditerranée, tandis que les feux à eux seuls en détruisent 1 % en moyenne par an (WWF, 2001), avec une grande variabilité d’un pays à l’autre.

Importance des feux de forêt dans les pays du bassin méditerranéen (part de la surface forestière brûlée en moyenne annuelle - Source : COLIN et al 2001) : Albanie (0,01%) ; Maroc (0,07%) ; Tunisie (0,18%) ; France (0,22%) ; Espagne (0,69%) ; Grèce (0,83%) ; Algérie (1,13%) ; Italie (1,64%) ; Portugal (2,79%).

2- Caractéristiques favorables aux incendies de forêts en région méditerranéenne



Le type de végétation et le climat sont des facteurs importants de prédisposition au feu. Certaines formations végétales sont plus sensibles au feu que d’autres : les maquis et garrigues sont plus vulnérables que les zones forestières. Cette sensibilité s’explique par la différence de composition de ces formations et par les conditions climatiques auxquelles elles sont soumises, en particulier leur teneur en eau. Celle-ci est influencée par les conditions climatiques que sont la température, le degré hygrométrique de l’air, l’absence ou l’abondance des précipitations et les épisodes de vents violents et desséchants.


Les situations idéales de développement des incendies se rencontrent lorsque sont réunies certaines conditions de climat, de végétation, de topographie et de gestion sociale et économique de l’espace.


A coté des causes immédiates, c’est à dire des agents de mise à feu, qui apportent une quantité de chaleur suffisante pour que le matériel végétal s’enflamme, les causes profondes ou structurelles des incendies de forêts en région méditerranéenne sont bien établies (VELEZ, 1994). Il s’agit de la sécheresse estivale et des vents qui marquent le climat méditerranéen, de la végétation qui, par sa composition floristique et sa structure, est très inflammable, du relief et, enfin, du contexte social, qui se traduit, soit par l’abandon et l’embroussaillement de beaucoup de zones rurales (notamment en Grèce et au Portugal) (ANGELIDIS, 1994).


L’évolution de l’occupation du sol, qui conduit, depuis quelques décennies, à l’augmentation de l’interface forêt/habitat, influe notablement sur le risque d’incendie. En effet, l’habitat disséminé dans l’espace naturel combustible ou bien à son contact est reconnu par tous comme un facteur aggravant majeur dans la lutte contre les incendies de forêt (CASTELLI & RIGOLOT, 2003). Cet état est lié, d’une part, à l’abandon des espaces ruraux, qui, de ce fait, ne sont plus entretenus, et d’autre part, à l’extension des zones urbanisées jusqu’aux abords des zones boisées. D’autre part, les habitations présentes au sein d’un massif forestier constituent des enjeux prioritaires de défense en cas d’incendie. Ceci entraîne une concentration des moyens de lutte dans ces espaces, au détriment parfois de la protection de la forêt.

 

Enfin, les modifications du climat et les changements des modes d’usage des terres représentent des facteurs clés dans l’évolution actuelle des régimes d’incendies en région méditerranéenne (QUEZEL & MEDAIL, 2003).

2-1 - Les facteurs climatiques


Les incendies de forêt dans le Bassin Méditerranéen dépendent pour une bonne part des conditions climatiques dominantes. Des étés prolongés (s'étendant de juin à octobre et parfois plus longtemps), avec une absence éventuelle de pluie et des températures diurnes moyennes bien supérieures à 30 °C réduisent la teneur en eau de la litière forestière à moins de 5 % (1994 ; DIMITRAKOPOULOS & MITSOPOULOS, 2006). Dans ces conditions, même une légère augmentation de chaleur (éclair, étincelle, allumette, mégot de cigarette) peut suffire à déclencher un incendie violent.


En règle générale, les conditions climatiques de l’année en cours et de celle qui précède sont déterminantes, aussi bien les précipitations qui jouent un rôle décisif dans le bilan hydrique des sols et donc du végétal, que les températures qui règlent la production de biomasse, l’évapotranspiration et rendent le végétal plus ou moins inflammable et combustible.

 

Avec la chaleur et le manque d'eau, le vent est un autre facteur climatique important (tableau 1). Les vents estivaux de terre, caractérisés par une grande violence et un fort pouvoir desséchant, tel que le sirocco au Maghreb, font tomber l'humidité atmosphérique à moins de 30 % et contribuent à propager les incendies en transportant des étincelles et surtout des brandons sur de grandes distances. Par ailleurs, l’action du vent accélère l’évapotranspiration, accentue l’aptitude des végétaux à s’enflammer et facilite la propagation du feu (QUEZEL & MEDAIL, 2003).


Facteurs climatiques

Influences sur les conditions du feu
Précipitations Rôle décisif dans le bilan hydrique des sols et du végétal
Température de l’air Augmentation de la température des combustibles, diminution de la teneur en eau et réduction de l’humidité atmosphérique lorsque la température de l’air augmente
Humidité atmosphérique Réduction de la teneur en eau des combustibles si l’air est sec
Vitesse du vent Accélération du desséchement des combustibles, fléchissement de la colonne de convection, transport de matières enflammées en avant de l’incendie (sautes de feu), accélération de la propagation de l’incendie
Direction du vent Vent dirigeant l’incendie vers des zones à propagation illimitée (boisement d’un seul tenant)
Saisons Au printemps, desséchement des combustibles de surface ; en été, augmentation des combustibles secs et abaissement de la nappe phréatique

Tableau 2. Influence des facteurs climatiques sur les conditions du feu (ALEXANDER & al., 1996)


Les conditions climatiques ont été particulièrement défavorables au cours des années 80, caractérisées par des sécheresses extrêmement graves, qui ont fortement affecté l’ensemble des pays du bassin méditerranéen, en particulier le Maroc, l’Algérie, le Portugal, l’Espagne et la France (VELEZ, 1999). D’ailleurs, selon DIMITRAKOPOULOS (1995), durant la décennie 1980-1990, on a répertorié 6 années de sécheresse exceptionnelle, notamment 1981, 1985 et 1988, dans de nombreux pays méditerranéens. L'année 1989, en particulier, a été l'une des plus sèches du siècle dans toute la région méditerranéenne occidentale (VELEZ, 1999).

 

Dans une étude effectuée sur l’évolution pluviométrique dans plusieurs pays méditerranéens (Italie, France, Grèce, Espagne, Portugal, Maroc, Algérie et Moyen-Orient), KADI (1995) a montré l’occurrence d’un important déficit en précipitations dans une très vaste zone durant les années 1980, 1981, 1989 et 1990 ; certaines zones sont plus affectées que d’autres l’Algérie et l’Espagne dans la partie occidentale, la Grèce et le Moyen-Orient dans la partie orientale.

 

D’autre part, la pente et l’exposition influent fortement sur le climat. En général, les versants sud et sud-ouest présentent les conditions les plus propices pour une inflammation rapide et la propagation des feux, car ils reçoivent un ensoleillement plus direct et par conséquent, les températures de l’air et des combustibles sont un peu plus élevées que sur les autres versants (WILLIAMS, 1964 in TRABAUD, 1992 ; QUEZEL & MEDAIL, 2003).

2-2 - La végétation forestière en tant que combustible


Le caractère particulier des forêts méditerranéennes est en rapport, d'une part avec leur grande hétérogénéité biogéographique, historique, climatique et physionomique et, d'autre part avec leur instabilité et leur vulnérabilité, liées à la fois à l'environnement méditerranéen et à l'activité humaine. Les écosystèmes méditerranéens sont, dans une large mesure, déterminées par une influence humaine prolongée et intense. Pendant des siècles, l'homme, les animaux domestiques et le feu ont modelé les forêts méditerranéennes, en créant des mosaïques formées d'unités ou de peuplements aux caractéristiques structurelles et fonctionnelles distinctes (MONTERO & CANELLAS, 2000). Les forêts méditerranéennes sont donc principalement composées de zones de forêts claires ou de formations arbustives, de maquis et de pâturages herbeux parsemés de végétation ligneuse.


Reflétant le climat dominé par de longues périodes de sécheresses, les forêts méditerranéennes sont souvent caractérisées par des essences pyroclimaciques, c'est à dire par des essences qui dépendent de la présence du feu durant leur cycle reproductif (VELEZ, 1994). Le feu a toujours représenté un facteur écologique naturel dans le bassin méditerranéen et ses peuplements forestiers, comme ceux du chêne vert, du chêne liège ou du pin d’Alep, constitués essentiellement d’espèces arborées ou arbustives pyrophytiques (RAMADE, 1997).


Les écosystèmes forestiers méditerranéens sont répartis en différents types de végétation (M’HIRIT, 1999), comme suit (en ce qui concerne le Maghreb, plus spécialement) :

 

  • le maquis thermophile à Oléastre (Olea europaea var. oleaster) et Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus) ;
  • les forêts de conifères thermophiles de Pin d'Alep (Pinus halepensis), Pin maritime (Pinus pinaster), Thuya de Berbérie (Tetraclinis articulata) et Genévrier de Phénicie (Juniperus phoenicea) ;
  • les forêts sclérophylles de chênes à feuilles persistantes : Chêne vert (Quercus ilex, Quercus rotundifolia), Chêne liège (Quercus suber), Chêne kermès (Quercus coccifera) ;
  • les forêts caducifoliées de Chêne zeen (Quercus faginea, Quercus canariensis), de Chêne afarès (Quercus afares) ;
  • les forêts de montagne ou de haute altitude, de Cèdres (Cedrus atlantica), de Pins noirs (Pinus nigra ssp. mauretanica) et de Sapins (Abies numidica, Abies maroccana) ;
  • les peuplements arborés de l'étage oroméditerranéen de Genévriers arborescents (Genévrier thurifère, Juniperus thurifera).

Selon VELEZ (1994), les pins forment les plus grands peuplements sur les rives à la fois septentrionales et méridionales de la Méditerranée. Le pin d'Alep (Pinus halepensis) est particulièrement répandu sur les côtes de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de la Grèce, de la Turquie, du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie. Le pin pignon (P. pinea), le pin maritime (P. pinaster) et le pin noir (P. nigra), dans la partie occidentale du bassin, sont les autres essences principales.

 

Ces essences tendent aussi à avoir une très forte teneur en résine ou en huiles essentielles, ce qui les rend extrêmement inflammables (DIMITRAKOPOULOS & MITSOPOULOS, 2006). Les forêts de pins sont en effet fortement touchées par les incendies. Les forêts de pin d’Alep représentent, à elles seules, 1/3 de l’ensemble des surfaces brûlées dans la région méditerranéenne (LEONE, 2005). Fort heureusement, ces essences sont caractérisées par des mécanismes physiologiques qui associent au feu l'ensemencement naturel, c'est à dire l'ouverture des cônes de pin exposés à une chaleur intense (VELEZ, 1994). Les cônes résistent aux feux les plus violents, leurs écailles peuvent être calcinées à l’extérieur sans que les graines soient touchées (CEMAGREF, 2003).


D'autres essences, en particulier les chênes sclérophylles sempervirents, le chêne vert (Quercus ilex), le chêne liège (Q. suber) et le chêne kermès (Q. coccifera), ont acquis une résistance biomorphologique au feu. Par exemple, Q. suber possède une écorce épaisse caractéristique qui isole le cambium, ce qui lui permet de résister à des incendies sporadiques. De même, la présence d'un grand nombre de bourgeons dormants chez les chênes assure la production de pousses et de rejets, si la partie aérienne de la plante est endommagée par le feu (VELEZ, 1994).


Toutefois, ces réactions adaptatives n'assurent pas une protection permanente. En effet, une trop grande fréquence peut venir contrarier gravement toute régénération et entraîner même la disparition de ces espèces dites pyrophytes ; c’est ainsi que dans une pineraie de pin d’Alep, cette fréquence ne doit pas dépasser un incendie tous les 15 ans (PEYRE, 2001).


Après des incendies répétés, les arbres sont remplacés par un couvert arbustif ligneux qui n'est pas simplement résistant au feu, mais qui est typiquement pyrophytique, comme dans le cas de la déhiscence des Cistes (Cistus spp.) ou d'autres espèces qui produisent des graines isolées par un tégument épais, des rhizomes ou des racines traçantes (VELEZ, 1994 ; DIMITRAKOPOULOS & MITSOPOULOS, 2006).

 

Dans les forêts naturelles de la zone méditerranéenne, il y avait un mélange d’espèces, ayant des sensibilités différentes au feu, et les pins et autres conifères se mélangeaient naturellement avec les chênes et autres feuillus, en une mixtion assurant une meilleure pyrorésistance des peuplements. Aujourd’hui, beaucoup de zones forestières de la Méditerranée ont un cortège bien éloigné de la flore originelle qui les composait (VARELA, 2004). A cette évolution naturelle de la flore, s'ajoutent les changements apportés par l'homme, quand il essaie de reconstituer le couvert arboré dans les zones où de graves incendies, ou d'autres utilisations, telles que le surpâturage et l'extraction du bois de feu, ont causé une forte dégradation.

 

Le reboisement est généralement effectué avec des espèces pionnières, le plus souvent avec des pins plantés en peuplements monospécifiques (VELEZ, 1994). Les essences de faible intérêt économique, comme les chênes à feuilles persistantes, ont été remplacées par des espèces plus rentables comme les pins, les eucalyptus, etc. (VARELA, 2004). Cela accroît en soit le risque d'incendie, étant donné la continuité des matières combustibles dans les plantations denses, ainsi que la concentration de menues matières (litières) hautement inflammables.

 

Enfin, la biodiversité de ces formations végétales est souvent très riche, ce qui représente un patrimoine biologique et génétique très important. Par ailleurs, le rôle de ces formations végétales dans la protection contre l’érosion, très grave dans la région méditerranéenne, est fondamental. Il est également à souligner l’importance accrue de cette forêt dans sa dimension sociale, particulièrement lors des afflux touristiques en saison estivale (ANGELIDIS, 1994). La protection de ce biopatrimoine forestier constitue donc un véritable enjeu économique, écologique et social.


2-3 - Les facteurs socio-économiques et aperçu historique sur l'utilisation des forêts


L'impact de l'action humaine sur l'environnement naturel dans la région méditerranéenne a été considérable durant 7 000 à 8 000 ans. Au Proche-Orient, les débuts de la culture et de l'élevage, qui ont affecté la forêt par le défrichement et le feu, remontent à 10 000 ans. Ces activités anthropiques se sont ensuite étendues dans le bassin de la Méditerranée occidentale vers 5 500 à 4 500 ans avant J.-C. (M’HIRIT, 1999). Ainsi, l'homme brûle la forêt méditerranéenne, depuis plus de 4 000 ans, à la recherche de meilleurs pâturages et de terres de cultures (M’HIRIT, 1999).

 

L'incendie n'est donc pas un phénomène récent et il a largement contribué à façonner le paysage végétal. Pendant, des siècles ce facteur principal de l’anthropisation (QUEZEL & MEDAIL, 2003) a toujours été présent dans le paysage rural et a été utilisé pour des activités agricoles et pastorales, qui formaient des discontinuités entre les massifs forestiers.

 

En région méditerranéenne, il n’existe pas de ce fait une opposition tranchée forêt/zone cultivée, mais plutôt un continuum entre forêt fermée et surfaces cultivées en permanence, en passant par des intermédiaires de surfaces boisées plus ou moins extensivement pâturées, ou parfois cultivées. L'héritage de tout ce passé se traduit par une occupation de l'espace, qui comprend une mosaïque de trois éléments fortement imbriqués du schéma classique : « sylva, saltus, ager ». Les systèmes de gestion ruraux traditionnels, comme les feux, l’abattage des arbres et le pâturage, ont eu aussi un impact de plus en plus négatif sur la conservation des écosystèmes forestiers et espaces naturels associés (WWF, 2001).


Les feux de forêt dans la région ont dramatiquement augmenté pendant les dernières décennies, en raison des rapides changements d'utilisation des terres et des conflits d’intérêts socio-économiques. Environ 95 % des incendies sont d'origine criminelle ou dus à des négligences (WWF, 2001), ce qui est plus particulièrement le cas de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce.


On peut citer parmi les origines des feux les plus fréquentes (VELEZ, 1999 ; DIMITRAKOPOULOS & MITSOPOULOS, 2006) :

  • Les bergers causent souvent des incendies en brûlant les forêts et les maquis, pour favoriser la repousse d'une nouvelle végétation herbacée pour les animaux au pâturage. Quand ils le font, sans prendre les précautions indispensables, alors que les risques climatiques sont élevés, les incendies de forêts sont pratiquement inévitables. Dans le passé, on a imputé aux pasteurs presque tous les incendies de forêts (feux pastoraux) qui se sont produits dans la région méditerranéenne, mais cela semble exagéré.
  • Les paysans utilisent aussi le feu afin d'éliminer les chaumes et de repousser la forêt pour faire place à l'agriculture. Malgré les risques évidents, on peut souvent voir des agriculteurs mettre le feu à des résidus agricoles, même quand de grands incendies échappant à tout contrôle font rage dans la même zone.
  • Les populations urbaines de la région méditerranéenne sont particulièrement insensibles au danger des incendies et à leurs conséquences potentiellement dangereuses. Malgré des campagnes de propagande préventive continues, de nombreux citadins ne considèrent pas les feux de forêts comme une menace, même au cœur de l'été. L'inconscience des fumeurs et des touristes qui font du feu pour cuire leurs aliments est la source d'un grand nombre d’incendies.
  • Une cause de plus en plus importante est le brûlage de grandes quantités de déchets solides, laissés par les touristes ou produits par les autres utilisations des forêts à des fins récréatives. L'élimination des ordures, généralement par brûlage, est souvent effectuée sans prendre les précautions nécessaires, et le risque d'incendie est grand. Les zones touristiques le long des côtes européennes de la Méditerranée sont souvent le théâtre d'incendies dus au brûlage des ordures.
  • Un nombre croissant d'incendies est allumé non à des fins utilitaires, mais par malveillance dans le seul but de détruire, spécialement en Méditerranée occidentale. Ces incendies peuvent être allumés pour diverses raisons, y compris la vengeance privée et les conflits que soulèvent le droit de propriété, les droits de chasse et même les politiques forestières gouvernementales, dans le cas par exemple, où le reboisement est exécuté au détriment de terres de pâture traditionnelle ou quand des zones, qui étaient auparavant ouvertes à tous, sont déclarées « aires protégées ou parcs nationaux ».
  • Les incendies destructeurs, particulièrement dans la partie européenne de la région méditerranéenne, ont aussi pour but d'essayer de modifier la classification de l'utilisation des terres. Par exemple, dans certaines parties de l'Italie et de la Grèce, de vastes zones forestières ont été détruites par des promoteurs immobiliers peu scrupuleux.

Le problème des feux de forêt est lié à la planification de l'occupation du sol et particulièrement à l'introduction rapide de nouvelles utilisations des terres, comme le développement du tourisme côtier ou la conversion des terres rurales en zones urbaines, liée aux intérêts économiques, notamment dans les pays méditerranéens d'Europe. En effet, un feu de forêt signifie plus d'espace pour la construction. Cette tactique est répandue dans les zones où la réglementation est faible, ce qui est assez souvent le cas des écosystèmes forestiers côtiers. Par exemple, de nos jours, 70 % du littoral italien est déjà urbanisé (WWF, 2001).

 

Finalement, les changements rapides dans l'utilisation des terres, qui ont eu lieu dans la région au cours des 30 ou 40 dernières années, sont liés au tourisme – côtier et d'altitude – au développement urbain et à l'instabilité socio-économique et politique qui affecte toujours dramatiquement certains secteurs de la région, en particulier les Balkans, le Moyen-Orient et l'Algérie (WWF, 2001).



3- Conclusion



En guise de conclusion à cet article, il nous paraît utile de revenir sur quelques généralités, valables aussi bien pour la partie septentrionale du bassin méditerranéen, que pour sa partie méridionale.

 

Le grand problème actuel dans les pays de climat méditerranéen découle du fait que les cycles de récurrence du feu se raccourcissent rapidement et en de nombreux endroits.

 

Auparavant, le laps de temps généralement long qui séparait deux passages du feu permettait à l’écosystème de se reconstituer. Aujourd’hui, dans ces zones où la fréquence des incendies est élevée, les peuplements forestiers n’ont pas le temps de se restructurer entre deux passages successifs du feu (ANGELIDIS, 1994). Cette récurrence des incendies est, en effet, incompatible avec la maturation temporelle et la sylvigenèse de nombreuses essences forestières, comme par exemple le pin d’Alep, qui atteint sa maturité à 70-80 ans, le chêne liège à 150 ans ou encore le chêne vert, qui nécessite une durée de l’ordre de 200 ans. L’accroissement de la fréquence des incendies est ainsi une cause de dégradation permanente des écosystèmes forestiers méditerranéens (CEMAGREF, 2006), qui sont tout d’abord remplacés par des formations végétales arborées ouvertes, puis par des formations de types arbustifs (RAMADE, 1997).

 

Deux éléments fondamentaux semblent intervenir en l’occurrence. D’une part, l’accroissement de la population entraîne une pression accrue sur les terres forestières, due à la demande de terres de culture et de pâturage dans certaines régions et d’espaces de loisirs dans d’autres. D’autre part, les fluctuations climatiques donnent lieu à de longues périodes de sécheresse, qui accroissent et étendent dans le temps et dans l’espace le danger d’incendie (VELEZ, 1994).

 

Les grands incendies fréquents ces dernières années, alliés à l’irrégularité des précipitations, peuvent aggraver le risque de dégradation irréversible des espaces boisés, tout au moins localement. Ce risque est présent dans la partie nord de la région méditerranéenne, en particulier dans la Péninsule ibérique, et apparaît dans tout le Maghreb également.

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Auteurs : Ouahiba MEDDOUR-SAHAR 1, Rachid MEDDOUR 2 & Arezki DERRIDJ 3


1-Magister, Laboratoire de gestion des écosystèmes forestiers, Institut national Agronomique El Harrach, 16 200 Alger, Chef de bureau protection à la conservation des forêts de Tizi Ouzou, 15 000. o.sahar@yahoo.fr
2-Enseignant, Chargé de cours, Faculté des Sciences Biologiques et des Sciences Agronomiques, Université Mouloud. rachid_meddour@caramail.com/
3-Professeur, doyen de la faculté des Sciences Biologiques et des Sciences Agronomiques, Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. aderridj @yahoo. fr

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