En France, elles sont désormais réservées aux déchets ultimes

Régime sec ou valorisation du biogaz ?

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DECHARGES : quel avenir ? (EXTRAIT DE LIVRE)

Chapitre 7.      Décharges, régime minceur


Régime sec ou valorisation du biogaz ?

Le pouvoir calorifique du méthane est de 38 MJ/Nm3 ; celui du biogaz de décharge est de 15 à 21 MJ/Nm3 selon le Département britannique de l'Energie, de 50 % du pouvoir calorifique (PCI) du méthane selon d'autres auteurs [62].

La France n'est pas un pays pionnier, ni un pays très avancé, en ce qui concerne la mise en place de systèmes de drainage et de valorisation du biogaz de décharge, en particulier parce que les conditions de rachat de l'énergie par EdF et GdF ne sont pas favorables. L'Allemagne et les Etats-Unis ont davantage montré la voie ; par exemple en Californie, on peut citer la décharge de Palos Verdes, équipée dès 1973 ; en Amérique latine, la décharge de Sao Paulo, au début des années 1980. En France, la première réalisation complète a eu pour cadre le site de Vert-le-Grand, dans l'Essonne, en 1980 ; elle a été menée en liaison avec Gaz de France.

On peut, soit utiliser le biogaz non épuré ou peu épuré (à PCI moyen), s'il intéresse un industriel (par exemple une cimenterie) à proximité, ou pour évaporer les lixiviats de la décharge ; soit l'épurer (le PCI est alors élevé) et le vendre à un utilisateur industriel ou à une société gazière ; soit le transformer en électricité, ou réaliser une co-génération électricité et chaleur, toutes deux valorisées (combined heat and power [CHP]).

Par exemple, sur le CET2 de Le Plessis Gassot, en région parisienne, Onyx collecte et valorise le biogaz, transformé en électricité.

En 1998, Electricité de France avait lancé un appel à propositions pour la fourniture d'électricité à partir de biogaz. Début 2000, cinq propositions ont été retenues : Hersin (Pas-de-Calais) : 3600 KW, Le Cannet (Var) : 2625 KW, Ferolles-Atilly (Seine-et-Marne) : 2400 KW, Sonzay (Indre-et-Loire) : 2400 KW, Hussigny (Meurthe-et-Moselle) : 1900 KW, soit au total près de 13 MW. Tous ces sites sont exploités par des compagnies privées (dont trois par Suez-Lyonnaise des Eaux) et la production d'électricité sera réalisée par la technique - éprouvée - du moteur à gaz. EdF rachètera l'électricité au prix de 36 centimes le KWh. A terme, en France, une centaine de sites seraient susceptibles d'être équipés. Pour que ce type d'équipement soit intéressant, d'un point de vue économique, les sites doivent avoir une capacité d'accueil se situant très largement au dessus de 100 000 tonnes de déchets par an.
Aux Etats-Unis, en janvier 2000, près de trois-cents réalisations ont été dénombrées, et de nombreux projets sont en cours ou en voie de réalisation.

En ce qui concerne la hiérarchie des modes de traitement, la France et la Communauté Européenne placent la mise en décharge tout en bas de la hiérarchie, tandis que l'incinération avec récupération d'énergie est considérée comme une forme de valorisation. Une mise en décharge assortie d'une valorisation du biogaz ne constitue-t-elle pas une forme de valorisation-énergie, au même titre que l'incinération avec récupération d'énergie ? De plus, en termes d'impacts sanitaires et environnementaux, l'incinération est-elle préférable à la mise en décharge ?

Dans un Rapport de 1993 [64], la Britain's Royal Commission on Environmental Pollution (RCEP) a comparé les émissions de gaz à effet de serre associées à l'incinération et à la mise en décharge ; le canevas suivant en fournit les principaux résultats :

Pour une tonne d'ordures ménagères :

Hypothèse incinération Hypothèse mise en décharge

Production de 0,3 tonne de CO2

+ Hypothèse d'une récupération d'énergie associée à l'incinération :

l'énergie ainsi récupérée permet de réduire de 0,12 t. les émissions de CO2 résultant de la production d'électricité par une centrale thermique au charbon.

Résultat net : production de 0,18 t. de CO2

Production de 0,03 t. de CO2 et de 0,04 t. de CH4, dont l'effet de serre serait équivalent à celui de 0,3 t. de CO2 ; soit au total l'équivalent de 0,33 t. de CO2

+ Hypothèse de récupération et de valorisation de 50 % du méthane :

* il en résulte une production de 0,02 t. de CO2, mais une économie de 0,036 à 0,046 t. de CO2 si on compare cette solution à la production d'électricité par une centrale au charbon ;

* il reste les émissions non captées :
- de CO2, soit 0,03 t.
- et de 50 % du méthane, soit l'équivalent de 0,15 t. de CO2.

Résultat net :0,134 à 0,144 t. de CO2.

Une mise en décharge avec récupération de biogaz apparaît préférable, sur ce plan, et dans ces conditions, à une incinération avec récupération d'énergie.

Ces résultats ont fait l'objet de critiques, dont celles formulées par M.K. Wallis [65] en 1994 :

  • seuls le dioxyde de carbone et le méthane ont été pris en considération ;
  • la durée d'émissions prise en compte, dans le cas de la décharge (alors que les émissions atmosphériques associées à l'incinération sont instantanées) est de trente ans seulement ; si on considère l'ensemble des émissions, sur très longue période, un taux de captage de 85 % sera loin d'être atteint ;
  • vis-à-vis de l'effet de serre, le coefficient multiplicateur appliqué au méthane (coefficient d'équivalence), par rapport au CO2, est, dans l'étude de RCEP, de 7,5. Wallis conteste ce nombre et propose un coefficient de 30. Il en résulte un fort avantage en faveur de l'incinération (rapport de 1 à 3 environ). Le coefficient de conversion ou d'équivalence à appliquer dépend de l'horizon temporel retenu. Ainsi, E. Ngnikam [66] retient : coefficient de conversion du méthane (CH4), par rapport au CO2 :
    • horizon 20 ans : 62
    • horizon 100 ans : 24,5
    • horizon 500 ans : 7,5
  • le modèle de production d'électricité considéré précédemment est celui du Royaume-Uni. Dans l'hypothèse d'une production d'origine nucléaire (cas français, dans une large mesure), le résultat net serait sensiblement différent.

Par ailleurs, l'analyse de Ngnikam s'applique au Cameroun où (comme dans divers pays d'Afrique équatoriale) la production d'énergie électrique est surtout d'origine hydraulique.

Dans le cadre de l'application de la Directive européenne, quels seront en fait les modes de traitement, alternatifs à la mise en décharge, des fractions organiques fermentescibles ? La filière des biodéchets reste à structurer.

Le fort taux d'humidité de certains matériaux biodégradables limite leur PCI, donc l'intérêt d'une incinération avec récupération d'énergie, et l'incinération s'accompagne d'émissions atmosphériques et de résidus solides à gérer.

Hormis l'incinération, certaines fractions biodégradables peuvent être recyclées, suivant un recyclage-matière : tel pourrait être le cas pour des textiles naturels, et des papiers-cartons, en excluant toutefois les papiers domestiques et sanitaires. Les autres alternatives sont le compostage et la méthanisation en réacteur.

Le compostage entraîne lui-aussi des émissions de gaz à effet de serre (y compris du méthane, lorsque les conditions d'exploitation ne sont pas bonnes et s'accompagnent d'une fermentation anaérobie), et les débouchés du compost sont mal assurés ; en France, dans le cadre d'usines de tri-compostage sur ordures brutes, non seulement les refus de compostage sont mis en décharge ou incinérés, mais près de la moitié du compost ainsi produit est lui-même mis en décharge, en raison d'une qualité insuffisante pour une valorisation.

La tendance actuelle consiste à collecter séparément des fractions organiques fermentescibles compostables et valorisables, mais certaines fractions seulement ; divers restes de cuisine, ainsi que le compostage de papiers domestiques et sanitaires tels que les couches d'incontinence, posent problème.

La méthanisation de déchets mêlés, dans le cadre d'unités industrielles de grand format, ne comporte à l'heure actuelle qu'un nombre très limité de références en Europe : en France, l'usine d'Amiens a connu nombre de difficultés, et, aux Pays-Bas, les résultats de l'usine de Tilburg restent à confirmer.

Vis-à-vis d'une mise en décharge avec récupération de biogaz , une méthanisation en réacteur permet un captage instantané et un taux de captage proche de 100 % du biogaz produit, mais les fractions organiques " dures ", dont la décomposition est lente, ne sont pas méthanisées. Les résultats du processus sont fonction de la finesse du broyage préalable opéré, et le digestat est à son tour composté ou mis en décharge.

Cependant, là encore, lors du compostage, les fractions dures deviendront des refus de criblage, devront être finement broyées ou feront l'objet d'un processus lent de décomposition ; il en est de même lors d'une mise en décharge.

Le choix européen trouve sa force dans le fait que la mise en décharge de déchets organiques fermentescibles occasionne des émissions de gaz à effet de serre " qui n'en finissent pas ". Pour le moins, la période post-exploitation, assortie d'une récupération du biogaz , devrait être allongée, et il en résultera un alourdissement des coûts.

Le choix européen n'est en fait pas partagé par tout le monde. Aux Etats-Unis, l'EPA rappelait en 1989 [67] que " les décharges sont utilisées pour traiter la majeure partie des ordures ménagères et continueront à jouer un rôle essentiel dans le futur ". Le concept de " gestion intégrée des déchets " était également rappelé, et les progrès du recyclage ne conduisent pas à écarter la mise en décharge ; dans ce pays, la conception de la décharge comme bioréacteur in situ, assorti d'une récupération et d'une valorisation de biogaz, n'est pas abandonnée.

Il reste qu'au niveau mondial, on peut estimer (grossièrement) que les décharges produisent environ 300 milliards de mètres-cubes de biogaz par an, ce qui est considérable !

Le Protocole de Kyoto prévoit des " échanges de droits à polluer " (système du trading). Dès lors, les pays industriels vont-ils aider financièrement les pays en développement à mettre en place des systèmes de collecte et de valorisation du biogaz de décharge ? Ou bien vont-ils (en particulier suivant le " modèle européen ") aider à la promotion d'autres modes de traitement des déchets ?